Je lui avais écrit cette lettre...

Affiche, installation

Table, papier, clous, amour
49 x 85 cm


"Puisqu'il l'a toujours laissée chez moi, je décide qu'elle y restera, sur ce bureau."















    Je lui avais écrit cette lettre,
                mi-novembre, dans ma chambre de jeune fille, chez mes parents, dans un bordel monstre car ma mère y entrepose en plus plein de cartons, de bouquins, du linge repassé ou non.


    Je lui avais écris cette lettre,
                sur mon petit bureau  maintenant chargé de cadres de photos de famille qui certaines, furent autrefois accrochées, certaines justes encadrées ne le seront probablement jamais, et d’autres encore récupérées ou données.

    Je lui avais écris cette lettre,
                pendant qu’il n’était pas là, pendant qu’il était au travail, avant qu’il me rejoigne.

    Pour lui écrire cette lettre,
                je m’étais isolée, pas un bruit, déjà trop de choses dans ma tête qui  s’entrechoquaient en attendant d’être couchées sur papier. J’y ai tout mis, j’ai  tenté de me poser, moi et mes pensées, je me suis concentrée.

    Pour lui écrire cette lettre,
                j’ai même fait un brouillon, pour bien faire, pour me relire et choisir avec exactitude mes mots. Et parce que mes mains tremblaient trop.

    Pour lui écrire cette lettre,
                j’ai pris spécialement un bloc de correspondance ligné, pour être droite et j’ai fouillé pour trouver un stylo qui me convenait et qui convenait à mes propos.

    Pour lui écrire cette lettre,
                j’ai gâché du papier.

    Pour lui écrire cette lettre,
                j’ai relu mon brouillon et l’ai même fait relire à ma mère, parce que je lui  avais parlé, pour qu’elle me rassure et m’acquiesce.

    Pour lui écrire cette lettre,
                j’ai respiré profondément, j’ai calmé mes mains. Il est rentré plus tôt que prévu.

    Pour lui écrire cette lettre,
                je lui ai dit que j’étais occupée, avec le sourire. Je l’ai fait patienter dans le salon, avec mes parents.

    Pour lui donner cette lettre,
                j’ai dû attendre le bon moment, que nous soyons seuls.

   Pour lui donner cette lettre,
                nous sommes allés dans ma chambre, nous nous sommes assis au
pied du lit.

    Pour qu’il lise ma lettre,
                je me suis tue et me suis écartée, mais il m’a demandé de me rapprocher, de me tenir près de lui.

    Pour qu’il lise et comprenne ma lettre,
                il a pris son temps, pendant.

    Pour qu’il comprenne et digère ma lettre,
                je suis restée muette, après. 

    Pour avoir lu ma lettre,

                il s’est tenu là, immobile, la regardant et la manipulant.

    Pour avoir lu ma lettre,
                j’ai mis ma main sur son épaule, il s’est tourné vers moi ému, et m’a souri.

    Pour avoir partagé ma lettre,
                il m’a serré dans ses bras.

                Il l’a toujours laissée sur mon bureau, chez mes parents, parce que « nous sommes toujours ensemble ». Je l’ai déjà surpris à la relire.

Mamy

Photographies numériques, impressions sur Epson Enhanced Matte
42 x 59,4 cm

Mamy, avec un y, parce qu’elle nous l’a toujours écrit comme ça.
Je reçois une lettre par semaine, parfois une tous les quinze jours, parfois une par mois. Cela dépend de sa forme, et de si je daigne y répondre. Quand j’ouvre ma boîte aux lettres, je ne suis donc jamais surprise quand il en a une, mais plutôt quand les réceptions sont rapprochées.
Toujours la même enveloppe, ornée d’un paysage, toujours le même. En général, je la pose avec le reste du courrier, sur mon meuble d’entrée. Il m’arrive d’attendre plusieurs jours avant de l’ouvrir, parfois même le temps d’en recevoir une autre. Je ne fais pas durer le plaisir, mais lorsque j’ai l’esprit à d’autres choses, lire Mamy peut-être contraignant. J’attends un moment. Ses lettres ne sont pourtant pas si pénibles à lire, au contraire, elles me distraient et provoquent en moi différents sentiments : de la compassion, de l’étonnement, de l’agacement ou de la consternation. Ses lettres se ressemblent, j’ai quelques fois l’impression d’en relire. Elle radote : la probable existence de Dieu, les sept ans chez les bonnes sœurs, son passé, la guerre, la famille, les résidents de la maison de retraite, les célébrités, ses ennuis intestinaux… Elle me parle des lettres qu’elle reçoit, et de celles qu’elle aimerait recevoir. Elle insiste, met ce qui lui semble important en majuscule, Dieu, son passé, la famille, […] son colon. Je la lis comme je l’entends, et je peux même voir sa bouche articuler, et son rouge à lèvre baver. Elle donne son avis, interprète, signale et se permet. J’en souris.
Elle m’adresse toujours une “pensée”, des citations, des leçons de morales, de la philosophie de magazines, des fleurs séchées. Je conserve les fleurs dans un plat au pied de ma cheminée. Je ne sais, par contre, jamais quoi faire de ses lettres. Il y en a dans mes tiroirs, celles qui ont provoqué chez moi quelques soubresauts émotionnels. D’autres finissent à la poubelle, après une brève hésitation.
Je lui écris rarement, mais quand je m’y attelle c’est pour plusieurs pages. Je lui répond également lorsque j’estime que certains de ses propos méritent d’être rectifiés,ou à l’inverse, quand elle se montre tout à fait plaisante. Elle me dit qu’elle ne sera pas éternelle, je sais. Mais elle l’est bien plus que n’importe qui, elle nous enterrera tous.










Je ne suis pas disponible, 1/365, extraits choisis

Livre en accrochage, impressions sur Epson Enhanced Matte
84, 1 x 59,5 cm
2009

Parce que je fais autre chose, ou simplement parce que je ne suis pas disposée, pas prête à la communication sur l’instant, je laisse sonner.
Le silence a part à la relation. J’ai besoin de cette pause, encore.
Je rappellerai plus tard. Je préfère être absente plutôt que mal présente.












Lire

Structure métal, impressions sur papier transparent, lumière
30 x 90 cm

Cette installation symbolise l’envahissement de l’esprit par des pensées qui arrivent, subitement, intrusives, répétitives, sans avoir nécessairement de rapport avec l’instant. Je matérialise cet envahissement en un espace-temps, qui peut être une heure, une journée…
Ces « flashs » nous détournent. Ainsi, le pragmatisme, les choses du quotidien, les besoins vitaux, de confort, sociaux et enfin l’affectif submergent. Les pensées liées au sensible, plus poignantes car émotionelles, nous retiennent plus longtemps. Elles s’enchaînent et se succèdent. Obsessionnelles.












Piochez dans l'intimité

Diapositives, boîte.