Mamy

Photographies numériques, impressions sur Epson Enhanced Matte
42 x 59,4 cm

Mamy, avec un y, parce qu’elle nous l’a toujours écrit comme ça.
Je reçois une lettre par semaine, parfois une tous les quinze jours, parfois une par mois. Cela dépend de sa forme, et de si je daigne y répondre. Quand j’ouvre ma boîte aux lettres, je ne suis donc jamais surprise quand il en a une, mais plutôt quand les réceptions sont rapprochées.
Toujours la même enveloppe, ornée d’un paysage, toujours le même. En général, je la pose avec le reste du courrier, sur mon meuble d’entrée. Il m’arrive d’attendre plusieurs jours avant de l’ouvrir, parfois même le temps d’en recevoir une autre. Je ne fais pas durer le plaisir, mais lorsque j’ai l’esprit à d’autres choses, lire Mamy peut-être contraignant. J’attends un moment. Ses lettres ne sont pourtant pas si pénibles à lire, au contraire, elles me distraient et provoquent en moi différents sentiments : de la compassion, de l’étonnement, de l’agacement ou de la consternation. Ses lettres se ressemblent, j’ai quelques fois l’impression d’en relire. Elle radote : la probable existence de Dieu, les sept ans chez les bonnes sœurs, son passé, la guerre, la famille, les résidents de la maison de retraite, les célébrités, ses ennuis intestinaux… Elle me parle des lettres qu’elle reçoit, et de celles qu’elle aimerait recevoir. Elle insiste, met ce qui lui semble important en majuscule, Dieu, son passé, la famille, […] son colon. Je la lis comme je l’entends, et je peux même voir sa bouche articuler, et son rouge à lèvre baver. Elle donne son avis, interprète, signale et se permet. J’en souris.
Elle m’adresse toujours une “pensée”, des citations, des leçons de morales, de la philosophie de magazines, des fleurs séchées. Je conserve les fleurs dans un plat au pied de ma cheminée. Je ne sais, par contre, jamais quoi faire de ses lettres. Il y en a dans mes tiroirs, celles qui ont provoqué chez moi quelques soubresauts émotionnels. D’autres finissent à la poubelle, après une brève hésitation.
Je lui écris rarement, mais quand je m’y attelle c’est pour plusieurs pages. Je lui répond également lorsque j’estime que certains de ses propos méritent d’être rectifiés,ou à l’inverse, quand elle se montre tout à fait plaisante. Elle me dit qu’elle ne sera pas éternelle, je sais. Mais elle l’est bien plus que n’importe qui, elle nous enterrera tous.